Ce qui suit se lit dans le premier volume, récemment paru, du « Voym dune l'Amérique du Sud, » par Jean-Jacob de Tschudi:
Je vais parler du Capoeiragem, que je n'ai encore vu mentionner dans aucun ouvrage sur le Brésil. Les détails que je vais donner m'ont été communiqués par des employés de la police et d'autres hommes bien informés.
Le mot capoeiro, d'où capoeiragem, signifie tout simplement, en portugais, voleur de volaille. Les capoeiros sont ou mulâtres, ou nègres libres, ou nègres esclaves, et forment une société de meurtre des plus singulières, réglée par des statuts secrets d'une très-grande simplicité.
Ils commencent généralement par être boxeurs de tête. — On sait que les Nègres n'ont pas l'habitude de se battre à coups de poing, comme les gens des autres races ; ils courent les uns contre les autres, la tête en avant, exactement comme deux béliers; leurs crânes retentissent, on les croirait tués du coup, mais ils ont la tète si dure qu'ils se font à peine du mal. — On voit donc très-souvent des capoeiros se battre à coups de tète, courir l'un contre l'autre, crâne contre crâne, s'éviter, faire des feintes, lutter enfin avec une telle rage qu'un des deux ennemis reste souvent mort sur la place.
Les fêtes et dimanches, surtout les jours de grande procession, les capoeiros s'assemblent, commencent à boxer, se montent la tête, entrent en furie, et alors se répandent en courant dans la ville, comme des bêtes fauves, pour satisfaire une irrésistible soif de verser le sang. S'ils rencontrent un esclave mal noté chez eux, soit parce qu'il n'a pas voulu faire partie de leur société, soit parce qu'il passe pour traître, il le mettent à mort en un tour de main. En vain le malheureux cherche-t-il à s'échapper, ils le poursuivent, l'atteignent, le blessent, le repoursuivent, le ressaisissent, le reblessent, sans jamais lui donner le coup de grâce. C'est le chat et la souris. Cette affreuse tragédie dure jusqu'à ce que le misérable condamné tombe mort d'épuisement et de douleur. S'ils ne trouvent sur leur route aucun esclave désigné d'avance au supplice, ils assomment le premier venu, blanc ou noir, étranger ou Brésilien. Il leur faut du sang I Ils n'ont ni couteaux ni poignard, leurs armes sont de très-longues aiguilles et des poinçons qu'ils enfoncent entre les côtes. Lorsqu'ils ont tué en nombre suffisant, les capoeiros disparaissent comme des ombres et souvent un gredin qui vient d'immoler son semblable va se mettre aux ordres de son maître, dix minutes après son crime, d'un air aussi reposé que s'il n'avait jamais quitté la maison.
A Rio de Janeiro, par un beau soir de lune, un dimanche, au coin de la rue de Santo Amaro, je vis une troupe de Nègres qui se mirent d'abord à rire bruyamment, puis à crier, puis à se boxer à coups de crâne, avec une fureur telle qu'on entendait au loin les tètes résonner ; je crus prudent de me sauver chez moi. Le mardi, je lus dans le journal que, le dimanche, les capoeiros avaient tué deux esclaves et un homme libre.
On n'a jamais accusé ces sauvages boxeurs du moindre vol. Les efforts de la police n'ont pas encore pu extirper cette effrayante société d'assassins; tout capoeiro saisi sur le fait est condamné à mort; si le crime ne peut pas lui être directement imputé, on le soumet.à des châtiments corporels tels qu'il y laisse souvent la vie. Des personnages les plus influents de l'État ont toutes les peines du monde à arracher au bâton un esclave favori soupçonné d'affiliation au capoeiragem; il arrive même presque toujours que l'eslave a reçu sommairement sa ration de coups avant que le maître ait été informé de l'arrestation.
Les capoeiros sont, dit-on, incorrigibles; ils ont beau être rudement punis, ils ne veulent jamais renoncer à leurs réunions, à leur boxe, à leurs courses en quête de meurtres. C'est pour eux un point d'honneur.
Il parait que le capoeiragem a été importé au Brésil par certaines tribus africaines. Il a beaucoup de points de ressemblance avec L´amock des Malais, mais le fait que le capoeiragem est une société organisée (une secte, si l'on veut, car il doit avoir eu une origine religieuse), tandis que l'amock est une folie sanglante personnelle, creuse un abime entre ces deux effroyables perversions. (Globus.)
FONTE: Revue moderne, Volumen 38- 1866
http://books.google.es/books?id=QIsNAAAAQAAJ&printsec=frontcover&source=gbs_v2_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false
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